Fiction – L’inventeur de l’impossible – Chapitre 7 – La guerre des rêves

SAMI
June 17, 2025 6 mins to read
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Le vent soufflait fort ce matin-là, balayant les rues de Tunis avec une insistance qui semblait refléter les tourments intérieurs de Nassim. Il marchait seul, son manteau noir battant contre ses jambes, ses pensées emplies de doutes et de résolutions. Solareef, son rêve, était devenu un champ de bataille, une guerre silencieuse entre ce qu’il avait voulu créer et ce que la réalité exigeait de lui

Depuis sa confrontation avec Kadri, la tension n’avait cessé d’augmenter. Il avait pris sa décision : il fallait absolument reprendre le contrôle de Solareef. Le problème était de taille : Kadri ne voulait pas le lâcher. Il voyait en Nassim un jeune idéaliste, un créateur certes brillant, mais inexpérimenté dans le monde des affaires. Il avait bien sûr les 66 % de l’entreprise, mais Nassim savait que les idées, les rêves, ne se mesuraient pas en parts de marché. Elles se mesuraient en vision et en volonté.

Ce matin-là, Nassim se dirigeait vers un autre type de bataille. Il devait convaincre le conseil d’administration de Solareef, désormais dominé par les hommes de Kadri, qu’il avait une vision alternative, que la véritable valeur de l’entreprise résidait dans la création et non dans l’industrialisation à outrance.

Le bâtiment était moderne, froid, situé dans un quartier d’affaires de la capitale. Nassim y entra avec la ferme intention de ne pas céder. Dès qu’il franchit la porte, il se retrouva face à un grand bureau, au centre de la salle de réunion, où étaient déjà réunis des investisseurs, des membres du conseil et Kadri lui-même. L’air était lourd, saturé de silence et de questions non dites.

Il s’assit à la table, les regards des autres convergeant sur lui. Kadri, comme toujours, était le plus calme de tous. Il n’avait pas besoin de parler pour faire sentir sa présence. Ses yeux disaient tout.

— « Nassim, » dit-il finalement, sa voix d’un calme glacé, « tu sais que ce que tu proposes est risqué. Nous avons une opportunité avec les grandes marques. Tu veux briser ce rêve pour… un retour à l’artisanat ? »

Nassim se redressa, son regard affûté, son esprit brûlant d’une idée qu’il savait irréfutable.

— « Ce que je propose, Monsieur Kadri, c’est de rester fidèle à ce que nous sommes. Ce n’est pas le moment de sacrifier l’essence de ce que Solareef a commencé à être. Nous ne faisons pas juste du thé. Nous créons une expérience. Un produit d’exception. Et pour cela, nous devons conserver l’intégrité de notre processus. Nous devons nous distinguer. Pas suivre la masse. »

Il marqua une pause, laissant ses mots pénétrer. Tout le monde dans la pièce semblait suspendu à ses lèvres.

— « Si vous voulez devenir une autre usine de production de masse, je vous le dis maintenant : je n’en fais pas partie. » Sa voix était ferme, son regard tranchant. Il sentait le poids de la décision, mais il n’avait plus peur. Ce n’était pas un choix facile, mais c’était le seul qu’il pouvait faire.

Le silence qui suivit semblait durer une éternité. L’un des membres du conseil, un homme d’une cinquantaine d’années, regarda Kadri avant de prendre la parole.

— « Kadri, il y a quelque chose à dire sur la passion de Nassim. Nous l’avons vu, ce produit. C’est unique. Mais est-ce que nous pouvons vraiment continuer à jouer à l’artisan ? Peut-on rivaliser avec l’échelle des grands groupes ? »

Kadri se leva lentement, posa ses mains sur la table et fixa Nassim. Ses yeux étaient froids, mais il semblait intéressé par la tournure que prenait la discussion.

— « Tu veux me faire croire que ce petit goût, cet “art”, va nous apporter une fortune ? Tu penses vraiment qu’en restant fidèle à tes idées, tu peux réussir à une échelle mondiale ? »

Nassim ne bougea pas. Il savait que c’était à ce moment précis qu’il devait décider de l’avenir de son rêve.

— « Oui, je le crois. » Il parla avec une certitude inébranlable. « La vraie différence entre nous et les autres, c’est ce que nous faisons. Nous ne voulons pas juste vendre du thé. Nous voulons créer une révolution dans chaque tasse. Et ça, personne d’autre ne peut le faire. Ce n’est pas une question de taille, c’est une question d’âme. »

Quelques heures plus tard, Nassim quitta la réunion. Il avait posé la question qui comptait : qui voulait réellement croire en l’idée de Solareef ? Ses paroles étaient devenues des promesses, et maintenant, il attendait.

Il se rendit directement à l’usine, son esprit bouillonnant. Il savait que le chemin était encore semé d’embûches. La bataille n’était pas terminée. Mais quelque chose avait changé. Les mots qu’il avait prononcés à la réunion n’étaient pas ceux d’un homme prêt à abandonner. C’était les mots d’un homme prêt à prendre ce qu’il lui appartenait.

Kadri, pour toute son expérience et ses ressources, ne comprenait pas ce que Nassim savait. Il ne comprenait pas que l’invention, le cœur du projet, c’était lui. Nassim était la clé. Et tant qu’il ne renoncerait pas, rien ni personne ne pourrait étouffer ce feu.

Le lendemain, Kadri lui envoya un message. L’essentiel n’était pas dit, mais Nassim savait ce que cela signifiait. Kadri était prêt à discuter d’un compromis. Le contrôle de Solareef allait peut-être changer de mains.

Mais Nassim ne voulait plus de compromis. Il voulait la liberté de rêver.

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