Fiction – L’inventeur de l’impossible – Chapitre 9 – Le prix du rêve

SAMI
July 1, 2025 6 mins to read
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La salle de réunion était silencieuse. Le seul bruit qui résonnait était celui des papiers qui se froissaient sous les doigts nerveux de Nassim. Il avait racheté sa part de Solareef. Il était désormais propriétaire de 100 % de son entreprise. Mais à quel prix

Les semaines qui avaient suivi l’achat avaient été intenses. La pression était à son paroxysme. Les financiers, les investisseurs, et même les employés étaient inquiets. Kadri avait quitté l’entreprise avec ses parts, mais la guerre n’était pas terminée. Il y avait encore des conflits à résoudre, des décisions difficiles à prendre. Chaque moment de calme semblait précéder une tempête.

Nassim se tenait debout à la fenêtre du bureau, regardant la mer lointaine. Les vagues frappaient les rochers comme un écho de sa propre lutte. Le vent soufflait fort, emportant avec lui ses pensées. Tout était encore fragile. Il n’avait pas encore trouvé l’équilibre entre son rêve et la réalité du marché. Les grandes marques demandaient des volumes toujours plus importants, mais cela signifiait qu’il devrait encore faire des compromis.

Le téléphone vibra sur son bureau. C’était Lamine, du groupe international.

— « Nassim, nous avons une petite inquiétude concernant la dernière livraison. » La voix de Lamine était calme, mais il y avait une pointe de préoccupation.

— « Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Nassim, le cœur battant. La dernière chose dont il avait besoin, c’était d’un autre problème de qualité.

— « Le thé. C’est bon, mais il manque quelque chose. Un goût, une rondeur que nous avons déjà observée dans les premiers lots. Nous devons voir si c’est un problème de production ou si c’est quelque chose de plus sérieux. »

Nassim posa le téléphone. Le goût… la rondeur. Cette caractéristique unique qui avait donné à son thé toute sa magie, son identité. Il savait que cela ne pouvait pas être un accident. La production à grande échelle mettait en péril cette touche subtile.

Il se tourna vers l’atelier, qui se trouvait juste en dessous du bureau. Il descendit précipitamment les escaliers, se dirigeant vers les machines. Là, les employés s’activaient sous la supervision des responsables de production. Mais pour Nassim, tout cela semblait dénué de l’intention qu’il avait mise dans chaque lot de thé au départ.

La machine laissait échapper un bruit mécanique, impitoyable. L’arôme diffusé était bon, mais il manquait la profondeur. Le problème venait de là : l’échelle. L’humain ne pouvait plus suivre. La magie se perdait dans le processus de fabrication.

Nassim s’isola dans son laboratoire. Il avait besoin de temps pour comprendre ce qui s’était passé. Il commença à examiner minutieusement les réglages des machines, les températures de cuisson, les paramètres d’extraction. Au fur et à mesure qu’il ajustait les machines, son esprit se troublait. Il avait tout sacrifié pour arriver jusqu’ici, et il était sur le point de perdre l’essence même de son invention.

Soudain, une pensée traversa son esprit comme un éclair : Et si tout cela était une illusion ? Peut-être que son rêve de créer une entreprise innovante, de produire à grande échelle tout en conservant une qualité irréprochable, était tout simplement irréaliste.

Mais non. Il ne pouvait pas y croire. Il se redressa, se força à rester calme. Il avait commencé à cette échelle réduite pour une raison. Il avait un contrat avec son cœur, un engagement envers l’authenticité. Il devait trouver une solution.

Il se rendit chez Amira, une ingénieure qu’il avait engagée pour ses compétences en matière de process et de qualité. Elle était l’une des premières à avoir cru en son projet, même avant qu’il ne soit financièrement viable. Ils s’assirent autour d’une table, avec des feuilles de calcul et des croquis de machines.

— « Nous avons un problème avec la capacité de production. Le goût change dès qu’on monte en échelle. » dit Nassim, la voix tendue.

Amira le regarda dans les yeux.
— « Tu veux dire qu’on ne peut pas produire à grande échelle sans sacrifier la qualité ? »

Nassim secoua la tête.
— « Non, ce n’est pas ça. Je refuse de sacrifier la qualité. Mais nous devons repenser l’ensemble du processus de production. »

Amira réfléchit un instant.
— « D’accord. Nous pouvons peut-être créer un nouveau système, qui nous permettrait d’ajuster les niveaux de pression et de température de manière plus précise. Ça peut ralentir le processus, mais on pourrait éviter la perte d’arôme. »

Cela nécessiterait des investissements supplémentaires, mais ce n’était pas impossible. Nassim se sentit un peu plus léger en entendant cette idée. Ce n’était pas la solution facile, mais c’était celle qui respecterait l’intégrité du produit.

Les semaines suivantes, Nassim mit tout en œuvre pour tester le nouveau système proposé par Amira. Il redessina une partie de la chaîne de production, remplaça certains équipements par des modèles plus précis et plus coûteux. Il savait que ce n’était pas une solution idéale, mais c’était un choix radical. Il n’y avait pas de retour en arrière.

Finalement, après plusieurs tests et ajustements, le thé retrouva son goût caractéristique, cette rondeur, cette complexité que seuls les petits producteurs pouvaient créer. Il était encore plus déterminé à protéger ce goût unique, cette identité de Solareef.

Un mois plus tard, les retours des clients étaient sans équivoque. Le thé était parfait. Solareef avait retrouvé sa signature. Et grâce aux ajustements de production, l’entreprise était en mesure de répondre aux demandes des grandes marques sans sacrifier l’âme du produit.

Mais à quel prix ?

Nassim savait qu’il avait pris un risque immense. Il avait mis toute son énergie, toute sa vision dans ce projet, mais il ne pouvait plus faire marche arrière. Il était à un point de non-retour. Le rêve qu’il avait lancé était désormais un monstre à nourrir, une entreprise qui, à chaque étape, demandait plus de lui. Plus de sacrifice, plus de compromis. Et pourtant, il savait que ce combat était nécessaire.

Il avait sauvé l’âme de Solareef, mais il savait que la guerre pour son indépendance n’était pas terminée. Le prix du rêve était de plus en plus élevé. Mais à présent, il était prêt à le payer, encore et encore.



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