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Fiction – L’inventeur de l’impossible – Chapitre 13 – L’héritage du rêve

SAMI
July 29, 2025 6 mins to read
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L’année avait commencé sur des promesses de croissance, de nouvelles alliances et de défis excitants. Mais pour Nassim, chaque journée passée à diriger Solareef semblait ajouter un poids supplémentaire sur ses épaules. La satisfaction d’avoir gardé son entreprise fidèle à sa vision était désormais entachée par la fatigue, la pression constante et le sentiment d’avoir perdu une partie de lui-même en chemin.

Les murs de son bureau étaient décorés de croquis de ses premières machines, des notes manuscrites sur des idées qui n’avaient jamais vu le jour, des photos de l’équipe de départ, des visages jeunes et pleins d’espoir. Tout cela était là pour lui rappeler ce qu’il avait commencé : un rêve. Un rêve qui, aujourd’hui, se mesurait à l’échelle d’une entreprise en pleine expansion, mais qui restait, au fond de lui, un rêve personnel.

Solareef était sur le point de franchir une étape importante : l’entreprise allait entrer en bourse. L’idée de rendre son entreprise publique semblait logique pour de nombreux investisseurs. Cela ouvrirait de nouvelles portes, permettrait d’augmenter la production et de toucher un marché plus large. Mais Nassim n’était toujours pas certain de ce que cela signifiait pour l’âme de Solareef. Qu’adviendrait-il de l’entreprise une fois que son rêve serait partagé par des milliers d’actionnaires, chacun à la recherche de profit ?

Il se tenait à nouveau sur la terrasse de l’usine, regardant l’horizon infini de la mer. Il avait fait un long chemin depuis ses débuts, à bricoler dans la petite pièce de Djerba. Il avait maintenant une entreprise florissante, une équipe passionnée, un produit exceptionnel. Mais à quel prix ?

Les regards de ses collaborateurs étaient pleins d’espoir. Mais il se demandait s’il pouvait encore leur offrir le rêve pur qu’il leur avait promis au départ.

Un après-midi, alors qu’il préparait une présentation pour le comité exécutif, il reçut un appel qu’il n’attendait pas. C’était Amira, son amie de longue date et sa plus grande alliée depuis les premiers jours de Solareef.

— « Nassim, il faut qu’on parle. » La voix d’Amira était grave, une légère inquiétude sous-jacente. « J’ai eu vent de quelque chose… »

— « De quoi s’agit-il ? » demanda-t-il, son cœur s’accélérant.

— « Il y a un groupe d’investisseurs qui se prépare à racheter une part significative de Solareef. Je pense que c’est une tentative d’absorption silencieuse. Ils ne cherchent pas à soutenir ta vision, Nassim, mais à prendre le contrôle. »

Nassim se leva de sa chaise, l’adrénaline dévalant son corps. Cela ne pouvait pas être vrai. Solareef avait toujours été sa création, son bébé. Il s’était battu pour le garder pur, pour qu’il ne tombe pas dans les mains de ceux qui n’en comprendraient jamais l’essence. Pourtant, il savait que les investisseurs étaient là pour gagner de l’argent, et non pour nourrir un rêve.

— « Qui sont-ils ? » demanda-t-il, une colère sourde montante.

— « Je n’ai pas tous les détails, mais… cela concerne l’avenir de Solareef. Tu es à un tournant, Nassim. Soit tu laisses d’autres prendre les rênes, soit tu choisis de défendre encore une fois ce qui t’appartient. »

Les heures qui suivirent furent marquées par une réflexion intense. Nassim savait qu’il devait prendre une décision. L’idée de céder à la pression des investisseurs et de laisser son rêve entre les mains d’autres, plus intéressés par l’argent que par l’authenticité du produit, lui semblait inconcevable. Mais à quel prix ? Devait-il encore lutter seul contre le monde entier ?

Solareef était devenu plus qu’une simple entreprise. C’était une vision qu’il avait partagée avec ses collaborateurs, un héritage qu’il ne voulait pas laisser se diluer sous la pression financière.

Le matin suivant, après une nuit d’insomnie, il prit la décision. Il convoqua le comité exécutif et les principaux investisseurs. Lorsqu’ils furent tous installés autour de la grande table, Nassim prit la parole, son regard déterminé.

— « Je sais que beaucoup d’entre vous attendent des chiffres. Je sais que nous avons besoin de plus de fonds pour aller plus loin. Mais je vous le dis aujourd’hui : Solareef ne sera jamais ce que vous voulez qu’il soit si vous cherchez à faire un profit rapide. »

Le silence dans la salle était total. Nassim continua, sa voix forte et pleine de conviction.
— « Solareef n’est pas une machine à générer des profits. C’est une révolution dans l’industrie du thé, un retour aux racines, à la nature. Je refuse que ce rêve devienne une entreprise comme les autres, où l’on vend l’âme pour des chiffres. »

Ce moment décisif dans la salle de réunion fut suivi par des heures de négociations et de discussions. Les investisseurs étaient partagés, mais Nassim se battit jusqu’au bout pour défendre ce qu’il croyait être juste. Au bout du compte, il réussit à conserver le contrôle de l’entreprise tout en acceptant de nouvelles conditions de financement plus compatibles avec sa vision.

Le soir, après avoir quitté l’usine, Nassim se rendit sur la plage, là où il avait souvent trouvé la paix et la clarté. Il regarda la mer qui déployait ses vagues avec une constance tranquille, sans souci de la tempête. Il comprenait enfin ce que signifiait réussir : ce n’était pas une question de profits ou de reconnaissance, mais de dévotion à une idée, à un rêve.

Solareef continuerait de croître, mais il resterait fidèle à son âme, à l’essence de ce qu’il avait voulu créer. Il était prêt à défendre ce rêve, même si cela signifiait lutter contre l’inévitable changement du monde des affaires. Il savait que son rêve avait désormais une place dans l’histoire.

Quelques mois plus tard, Nassim visita les premières plantations de thé qu’il avait aidé à établir dans les montagnes tunisiennes. La récolte était bonne, les arômes plus riches que jamais. Solareef n’était plus seulement une entreprise prospère, mais une marque qui avait réussi à redéfinir la qualité, à réconcilier les affaires et l’art.

En rentrant, il se tourna une dernière fois vers les montagnes, un sourire serein sur le visage. Son rêve vivrait. Il vivrait au-delà de lui. Et ça, c’était l’héritage qu’il laissait.

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