Effet Dunning-Kruger en Tunisie : des exemples concrets par domaine

SAMI
September 8, 2025 32 mins to read
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L’effet Dunning-Kruger décrit un biais cognitif où les moins compétents dans un domaine surestiment leur niveau de maîtrise, tandis que les plus compétents ont tendance à sous-estimer le leur. En termes simples, « ils ne savent pas qu’ils ne savent pas ». Ce phénomène, identifié par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, se manifeste dans toutes les sociétés, et la Tunisie n’y fait pas exception. Ses conséquences peuvent freiner le développement, car il entraîne décisions inefficaces, apprentissage bloqué et rejet des vraies expertises (leaders.com.tn, leaders.com.tn). Dans ce rapport vulgarisé, nous illustrons comment l’effet Dunning-Kruger se manifeste concrètement en Tunisie depuis ces dernières années (notamment post-2015) dans plusieurs domaines clés – éducation, politique, médias, entrepreneuriat, santé – à travers des mini-études de cas basées sur des faits réels. Le ton se veut accessible, sans jargon, afin de sensibiliser un large public à ce biais cognitif qui peut passer inaperçu mais dont les impacts sont bien réels.

Chaque section présente des exemples concrets et récents, accompagnés de données ou déclarations tunisiennes officielles lorsque disponibles, afin de montrer comment l’illusion de compétence freine le progrès. Enfin, nous conclurons par un appel à la réflexion et à l’action pour atténuer ce biais dans la vie quotidienne et collective.

Éducation : l’illusion de compétence à l’école

En Tunisie, le système éducatif peine à détecter les écarts réels de niveau, ce qui alimente l’effet Dunning-Kruger chez les élèves et chez certains enseignants. Par exemple, beaucoup d’élèves et d’étudiants surestiment leur niveau réel, faute de repères d’évaluation rigoureux (leaders.com.tn). Les examens se basent souvent sur la mémorisation et la restitution de cours, davantage que sur la compréhension ou l’esprit critique. Un élève peut obtenir de bonnes notes en restituant par cœur sans réellement maîtriser les concepts. Cela lui donne l’illusion qu’il est compétent, alors que ses capacités pratiques ou analytiques restent limitées. Cette surestimation est parfois encouragée – involontairement – par des enseignants eux-mêmes insuffisamment formés mais convaincus de “maîtriser pleinement” leur discipline (leaders.com.tn). Le résultat est un cercle vicieux où tout le monde se croit au niveau, alors que les évaluations internationales racontent une autre histoire.

En effet, lorsque la Tunisie a participé aux tests internationaux PISA (qui comparent les acquis des élèves de 15 ans dans le monde), le choc a été dur. Notre pays s’est classé 65ᵉ sur 70 en 2015 (ilboursa.com), figurant tout en bas du tableau aux côtés de quelques pays bien moins dotés. Les scores des élèves tunisiens en mathématiques, lecture et sciences étaient très faibles (par ex. 361 points en compréhension de l’écrit, contre 535 pour la moyenne de Singapour) (fr.allafrica.com, ilboursa.com). Pire, la situation s’est dégradée au fil du temps : la Tunisie avait reculé d’une place par rapport à 2012 et aucun élève tunisien n’atteignait les niveaux d’excellence dans ces tests (ilboursa.com). Face à ces résultats médiocres, les autorités ont fini par se retirer du programme PISA après 2016, évitant ainsi de nouveaux classements humiliants (fr.allafrica.com). Officiellement, on a avancé des raisons techniques ou financières, mais beaucoup y ont vu une fuite en avant : ne plus mesurer la performance pour ne plus avoir à en affronter la réalité. C’est une manifestation indirecte de l’effet Dunning-Kruger à l’échelle du système : ne pas reconnaître l’ampleur de nos lacunes éducatives. Si élèves et enseignants continuent de croire que “tout va bien” – ou blâment uniquement des facteurs externes (programmes trop chargés, manque de moyens) sans remise en question pédagogique – alors les réformes tardent. Par exemple, malgré des plans de réforme du système éducatif discutés depuis plus d’une décennie, les progrès restent timides et les générations d’élèves paient le prix des retards accumulés (fr.allafrica.com). En somme, l’illusion de savoir freine l’apprentissage : comment s’améliorer si l’on se croit déjà suffisamment bon ? L’effet Dunning-Kruger dans l’éducation tunisienne entretient ce statu quo, avec un système qui produit des diplômés souvent peu armés pour le marché du travail (le taux de chômage des diplômés du supérieur avoisine 23%).

Illustration concrète : un étudiant tunisien moyen peut sortir du lycée persuadé d’être “bon en maths” parce qu’il a réussi ses examens en apprenant des formules par cœur. Mais confronté à un test international ou à une situation réelle (comme calculer un taux d’intérêt ou comprendre un phénomène scientifique), il échoue. Un rapport de l’OCDE avait révélé que 71,6% des élèves tunisiens n’atteignent même pas le niveau minimum de compétence (niveau 2) en lecture en 2015, et plus de 74% étaient au niveau de base en maths (ilboursa.com, ilboursa.com). Cela signifie concrètement que beaucoup de nos élèves ne savent pas extraire l’idée principale d’un texte ou convertir une devise étrangère, alors même qu’ils ont le sentiment d’avoir le niveau requis, car le système ne le leur a pas clairement fait prendre conscience. Lorsque l’auto-évaluation est faussée, l’amélioration est bloquée (leaders.com.tn). Pour briser ce miroir déformant, des voix appellent à revaloriser la pensée critique et l’humilité intellectuelle dès l’école, par exemple via l’éducation “métacognitive” (apprendre à reconnaître ce qu’on ne sait pas) ou l’intégration de modules sur les biais cognitifs dans les programmes (leaders.com.tn, leaders.com.tn).

Politique : excès de confiance au sommet de l’État

En politique tunisienne, l’effet Dunning-Kruger se manifeste lorsque des responsables peu qualifiés dans un domaine prennent pourtant des décisions cruciales en étant persuadés de bien faire. Cette surconfiance au sommet peut coûter cher en matière de gouvernance et de développement. Un dirigeant convaincu d’avoir raison alors qu’il se trompe refusera les conseils des experts, négligera les analyses techniques, et adoptera des politiques publiques vouées à l’échec leaders.com.tn leaders.com.tn. Malheureusement, les exemples ne manquent pas.

Cas d’école récent : en novembre 2020, en pleine pandémie de Covid-19, un député tunisien, Seifeddine Makhlouf, a fait sensation – et scandale – en brandissant fièrement une petite fiole au Parlement en plein débat budgétaire. Il a affirmé devant l’Assemblée tenir un “remède miracle” contre le Covid-19, mis au point en Tunisie, qui n’attendait que le soutien du Ministère de la Santé pour, dit-il, « que le monde entier nous l’achète » courrierinternational.com. Le parlementaire, juriste de formation et sans aucune compétence scientifique ou médicale, était pourtant convaincu de détenir LA solution qui échappait aux chercheurs du monde entier. Cette intervention a immédiatement suscité la moquerie sur les réseaux sociaux et dans les médias tunisiens, transformant l’élu en objet de sarcasmes courrierinternational.com. En creusant, on a découvert que la fameuse potion provenait d’un enseignant sans formation pharmaceutique, et qu’il s’agissait en réalité d’un complément alimentaire non approuvé par les autorités sanitaires courrierinternational.com. Ce coup d’éclat illustre parfaitement l’effet Dunning-Kruger en politique : un responsable mal informé mais ultra-confiant promeut une idée infondée, pensant détenir un savoir supérieur, alors qu’il n’en est rien. Outre le ridicule, le danger est que certains citoyens crédules auraient pu le croire et négliger les vraies mesures de prévention.

Ce même député n’en était pas à sa première affirmation farfelue. Quelques mois plus tôt, en août 2020, il avait carrément annoncé avoir découvert un “lac de pétrole” caché par l’État tunisien, en se basant… sur Google Maps. En réalité, il avait confondu une petite étendue d’eau naturelle à Borj el-Khadra (dans le sud du pays) avec un gisement pétrolier imaginaire. Les internautes s’étaient empressés de détourner l’affaire en renommant ce point d’eau sur Google Maps “pétrole de Seifeddine Makhlouf” pour tourner en dérision la méprise courrierinternational.com. Là encore, une combinaison d’ignorance en géologie et d’excès de confiance a mené à une déclaration erronée. Ce genre de déclarations populistes – avancer qu’il y a du pétrole caché, un remède secret, ou d’autres “solutions miracles” – peut trouver un écho chez une partie de la population, mais fait perdre un temps précieux sur les vrais problèmes et les vraies solutions. Plutôt que d’écouter les géologues ou les médecins, on s’égare dans des chimères.

Au-delà de ce cas pittoresque, on retrouve l’effet Dunning-Kruger dans la haute administration lorsque des personnes sont nommées à des postes stratégiques sans avoir l’expertise requise. Par exemple, il arrive qu’on confie un ministère technique (santé, finances, technologies) à des individus dont ce n’est pas le domaine, pour des raisons politiques. Si ces dirigeants ne reconnaissent pas leurs limites, ils risquent de prendre des décisions mal éclairées. On l’a vu lors de la crise du Covid-19 : la gestion chaotique de la campagne vaccinale à l’été 2021 – avec l’organisation hasardeuse de journées “portes ouvertes” qui ont tourné à la cohue – a révélé un manque de planification et de connaissance du terrain. Le ministre de la Santé de l’époque, pourtant médecin de profession, a été limogé après ces erreurs de gestion lemonde.fr. Certains ont pointé un excès de confiance dans la capacité du public à se discipliner spontanément, ou une surestimation des moyens logistiques disponibles. De même, dans le domaine économique, des choix hasardeux ont été faits en ignorant les mises en garde des experts. Par exemple, la réticence prolongée des autorités face aux réformes préconisées par les économistes (comme la restructuration des entreprises publiques en difficulté, ou l’acceptation d’un accord avec le FMI) s’est accompagnée parfois de discours laissant entendre que “d’autres solutions non orthodoxes” seraient à portée de main, sans réelle base technique. Pendant ce temps, la crise s’est aggravée. Ici, l’effet Dunning-Kruger prend la forme d’un déni de réalité économique, fondé sur une confiance excessive dans des recettes non éprouvées.

Enjeux pour le développement : lorsque l’État décide avec l’illusion du savoir, les politiques publiques peuvent être inefficaces voire contre-productives leaders.com.tn. Des investissements sont gaspillés dans des projets mal conçus, les vraies priorités ne sont pas traitées sérieusement, et les échecs successifs sont souvent imputés à des facteurs externes (conspiration étrangère, sabotage interne, “héritage du passé”…) plutôt qu’à l’incompétence décisionnelle leaders.com.tn leaders.com.tn. Ce refus de remise en question empêche d’apprendre de ses erreurs et de redresser la barre. La gouvernance en pâtit, avec un risque de cercle vicieux : un dirigeant incompétent s’entoure de conseillers complaisants qui n’osent pas contredire ses vues erronées (par loyauté ou par crainte), ce qui renforce ses certitudes… et mène à d’autres erreurs. Pour éviter cela, des experts tunisiens suggèrent de mieux encadrer les compétences aux postes clés – par exemple en instaurant des audits de compétences réguliers et des formations aux biais cognitifs pour les décideurs leaders.com.tn leaders.com.tn. En clair, ramener de l’humilité au sommet : reconnaître qu’on ne sait pas tout et qu’on doit écouter ceux qui savent.

Médias : la tribune aux « pseudo-experts »

Le paysage médiatique tunisien, qu’il s’agisse de la télévision, de la radio ou des réseaux sociaux, joue un rôle crucial dans la diffusion (ou la correction) de l’effet Dunning-Kruger. Dans un contexte de liberté d’expression accrue après 2011, de nombreux intervenants autoproclamés experts occupent l’espace médiatique, parfois au détriment de la qualité de l’information. Des talk-shows aux pages Facebook, on voit émerger ce qu’un observateur a appelé « la civilisation du mensonge » couplée à la généralisation de l’illusion de savoir leaders.com.tn. Concrètement, cela signifie que des personnes peu compétentes n’hésitent plus à s’exprimer très confiantes sur des sujets complexes, donnant une impression d’expertise à un public peu méfiant.

Sur les plateaux de télé, il n’est pas rare d’assister à des débats où les invités (parfois des chanteurs, des animateurs ou des militants sans qualification particulière dans le domaine discuté) avancent des affirmations péremptoires sur l’économie, la santé ou l’éducation. Cette sur-médiatisation de profils non qualifiés, souvent choisis pour leur bagout ou leur audience, crée un bruit qui noie la voix des vrais experts. Par exemple, durant la crise sanitaire du Covid-19, certaines émissions ont laissé une tribune à des intervenants minimisant la gravité du virus ou critiquant la vaccination sans arguments scientifiques solides. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs infondées (par ex. “tel remède traditionnel protège du coronavirus”, “les tests PCR ne servent à rien”) se sont propagées plus vite que les démentis officiels. De nombreux Tunisiens, méfiants envers les médias classiques ou simplement mal informés, ont partagé ces infox en toute bonne foi, persuadés de détenir la vérité. On se souvient qu’au début de la pandémie, les herboristeries de Tunis ont été dévalisées par des habitants cherchant du thym, du gingembre ou de l’ail, pensant ainsi se prémunir du virus sur la base de recettes lues en ligne – alors qu’aucune preuve scientifique ne confirmait ces prétendus effets préventifs. Cette ruée vers les remèdes “traditionnels” a même fait l’objet d’un reportage de l’AFP, illustrant comment la peur combinée à la désinformation peut conduire à des comportements irrationnels. Derrière ces fausses bonnes idées, souvent, quelqu’un de non qualifié aura parlé très sûr de lui, déclenchant un phénomène de croyance virale.

Les médias tunisiens ont eux-mêmes conscience du défi : « Les fausses nouvelles continuent de polluer les réseaux sociaux tunisiens », titrait un reportage en 2024, rappelant que le phénomène des fake news s’est amplifié après la révolution, alimenté par la méfiance envers les sources officielles fr.africanews.com fr.africanews.com. Le manque de culture de vérification et l’attrait pour les discours simples sont le terreau du Dunning-Kruger dans le paysage médiatique. Un individu peu compétent peut y devenir très influent s’il s’exprime avec assez de confiance. Cela a des conséquences sur le développement du pays : par exemple, la diffusion de théories du complot affaiblit la cohésion sociale et la confiance dans les institutions, ce qui complique la mise en œuvre de politiques publiques (comment faire accepter une réforme économique si des voix crient à la “manipulation” ou au complot sans preuve, mais avec beaucoup d’assurance ?).

Exemple marquant : l’affaire du « remède miracle » citée plus haut s’est transformée en véritable buzz médiatique. Si la plupart des médias sérieux ont dénoncé l’absurdité de la scène, certains médias partisans ou pages Facebook complotistes ont initialement relégué l’information sans la critiquer, voire en défendant le député en question. Il a fallu la riposte moqueuse et indignée d’internautes et de journalistes scientifiques pour rétablir les faits. Cela montre que la bataille de l’information est permanente : l’effet Dunning-Kruger chez certains intervenants (ici, un politicien trop sûr de lui en matière de santé) aurait pu induire en erreur une partie de la population si le contre-discours rationnel n’avait pas été au rendez-vous.

Heureusement, de plus en plus d’initiatives médiatiques en Tunisie cherchent à vulgariser l’esprit critique et à démasquer les pseudo-experts. Des chroniques, des podcasts ou des campagnes sur les réseaux sociaux expliquent les biais cognitifs au grand public, rappelant qu’un vrai expert doute plus qu’il n’assène de certitudes. Le besoin de « lutter contre les pseudo-experts dans l’espace public » a d’ailleurs été souligné dans une récente réflexion sur la réforme culturelle du pays leaders.com.tn. Cela passe par des émissions éducatives sur la pensée critique et la promotion, dans les médias, de figures crédibles qui admettent leurs erreurs ou limites plutôt que de toujours inviter les mêmes débatteurs aux opinions tranchées leaders.com.tn leaders.com.tn. Revaloriser l’humilité intellectuelle à l’écran comme en ligne est un chantier de société : en Tunisie, cela pourrait par exemple prendre la forme d’une charte des médias s’engageant à vérifier les compétences des intervenants sur un sujet donné, ou d’émissions où l’on décortique calmement une idée reçue très répandue.

En somme, les médias sont à la fois victimes et remèdes potentiels du Dunning-Kruger. Victimes, car ils amplifient parfois les fausses compétences. Remèdes, car ils ont le pouvoir de réinformer et de former l’opinion. Sensibiliser journalistes et public aux biais comme celui-ci est crucial pour éviter que “celui qui parle le plus fort” soit pris pour “celui qui a raison”.

Entrepreneuriat : l’excès d’optimisme des startupeurs

Depuis quelques années, la Tunisie mise sur l’entrepreneuriat et l’innovation comme leviers de développement économique. De nombreux jeunes – et moins jeunes – se lancent dans la création de start-up, de projets technologiques ou d’entreprises sociales. Cet engouement entrepreneurial s’accompagne de success stories inspirantes, mais aussi, il faut le dire, de nombreux échecs. L’effet Dunning-Kruger fournit une grille de lecture instructive de certains de ces échecs : beaucoup d’entrepreneurs en herbe surestiment leurs compétences et sous-estiment les difficultés, ce qui mène à des projets mal préparés.

Selon l’analyse de Hafedh Abdelmelek (expert en management), de nombreux entrepreneurs tunisiens lancent leur start-up “la fleur au fusil”, sans préparation ni compétences réelles, portés par une confiance excessive en un succès quasi-naturel leaders.com.tn. Ils sont persuadés que leur idée “va marcher” et pensent tout savoir ou presque sur le business, alors qu’il leur manque souvent des bases en gestion financière, en étude de marché, en marketing digital, etc. Cette surconfiance n’est pas seulement individuelle : elle est parfois entretenue par l’écosystème lui-même. Ces dernières années, des organismes d’accompagnement, des concours de pitch ou des investisseurs institutionnels ont pu soutenir des projets peu viables, par excès d’enthousiasme ou manque d’expertise pour évaluer correctement le potentiel leaders.com.tn. On a vu des start-up obtenir des subventions ou des prêts sur la seule base d’un concept à la mode, sans modèle d’affaires solide. Le résultat, c’est qu’au bout de un ou deux ans, la start-up fait faillite.

Un indicateur parlant : malgré l’adoption du “Startup Act” en 2018 (loi censée encourager les start-up innovantes), le nombre de nouvelles start-up labellisées en Tunisie a drastiquement chuté après un pic initial. D’après un rapport de 2024, on est passé de 224 start-up labellisées en 2020 à seulement 3 en 2023 freiheit.org. Cela suggère que beaucoup se sont lancés en 2019-2020 sans filet, puis que la plupart de ces projets n’ont pas survécu ou que l’engouement s’est refroidi face aux obstacles. Certes, la pandémie et la crise économique y sont pour quelque chose, mais des acteurs du secteur soulignent aussi les erreurs classiques des entrepreneurs débutants : négliger l’étude du marché, brûler la trésorerie en dépenses inutiles, ou persister dans une voie non rentable par orgueil.

Exemple concret : plusieurs hackathons organisés en 2018-2019 avaient primé des projets de jeunes tunisiens (appli mobile, services web) qui ont fait le buzz dans la presse pendant quelques mois. On se souvient par exemple d’une application présentée comme le “Uber de [quelque chose]” ou d’une invention promettant de révolutionner l’agriculture. Les lauréats, pleins d’assurance, ont bénéficié d’une couverture médiatique et parfois de fonds de démarrage. Mais, faute d’encadrement et d’expérience, nombre de ces startups n’ont jamais réellement décollé ou ont fermé peu après leur lancement, dans un relatif silence. Dans certains cas, les porteurs de projet ont incriminé le contexte : *« C’est la faute des lourdeurs administratives », *« les banques n’ont pas suivi », « la corruption m’a empêché d’obtenir tel marché ». Bien sûr, l’environnement des affaires en Tunisie est loin d’être parfait (l’accès au financement est difficile, les procédures sont lentes freiheit.org…), mais il est frappant de voir à quel point l’auto-critique est rare chez ces entrepreneurs déçus. L’effet Dunning-Kruger fait que l’on attribue l’échec à tout sauf à soi-même : la mauvaise conjoncture, les partenaires, les clients “qui ne comprennent pas l’innovation”… alors que souvent, un regard honnête révèlerait des lacunes initiales dans le projet lui-même (produit inadéquat, absence d’étude de la concurrence, compétences manquantes dans l’équipe). Ne pas reconnaître ces lacunes empêche d’apprendre de ses erreurs et de rebondir avec un projet mieux ficelé.

Sur le plan macro, cette situation contribue à freiner l’innovation et la croissance. Des ressources (financières, humaines) sont englouties dans des initiatives vouées à l’échec, pendant que d’autres besoins restent non couverts. Par exemple, au lieu d’importer encore une énième application de livraison de repas mal adaptée au marché local, peut-être aurait-il mieux valu investir ces efforts dans la AgriTech ou la GreenTech où la demande existe. Mais l’attrait pour ce qui brille (souvent sous influence des modes internationales) l’a emporté sur l’analyse rigoureuse. C’est un trait du Dunning-Kruger entrepreneurial : la confiance aveugle dans son idée “géniale” empêche de voir les signaux d’alerte. On peut citer tel incubateur régional qui, en 2019, a hébergé pas moins d’une dizaine de jeunes entreprises œuvrant toutes dans le même créneau d’e-commerce sans originalité ; aucune n’a survécu plus de deux ans. Si mentors et porteurs de projets avaient fait preuve de plus de réalisme (et d’humilité face à la complexité du monde des affaires), ils auraient peut-être redirigé leurs efforts plus efficacement.

Pour pallier cela, la culture de l’échec constructif commence à être promue en Tunisie : reconnaître qu’un échec peut venir d’une erreur de jugement ou de compétence, et s’en servir de leçon. Des programmes de formation pour entrepreneurs insistent désormais sur la validation des compétences (connaissances en finance, marketing, droit des affaires…) avant de se lancer. On encourage aussi le mentorat par des entrepreneurs chevronnés, qui peuvent gentiment ramener sur terre les rêves trop déconnectés. En somme, remédier à l’effet Dunning-Kruger dans l’entrepreneuriat tunisien, c’est inculquer dès le départ la notion d’auto-évaluation réaliste : faire un SWOT honnête (forces et faiblesses réelles), demander des feedbacks extérieurs, et surtout ne pas croire qu’une bonne idée suffit. L’humilité et l’apprentissage continu sont les meilleurs alliés du succès entrepreneurial sur le long terme, bien plus que l’excès de confiance initial.

Santé : quand l’ignorance confiante met en danger

Dans le domaine de la santé, l’effet Dunning-Kruger peut littéralement menacer des vies. La santé est un secteur où l’expertise technique est cruciale – des années d’études, de pratique, de mise à jour des connaissances sont nécessaires pour soigner correctement. Pourtant, on voit émerger des comportements où des individus peu ou pas formés s’improvisent médecins, ou rejettent l’avis médical éclairé au profit de leurs propres croyances, avec une grande assurance. En Tunisie, plusieurs faits divers et tendances récentes illustrent cette problématique.

Un cas frappant est celui des faux médecins. En 2024, un individu à Sousse a été arrêté pour avoir exercé illégalement la médecine pendant un certain temps, causant même de graves complications à un patient webdo.tn. Cet escroc se présentait comme un praticien en “médecine alternative” et traitait des gens sans aucune qualification. Il a fallu qu’une de ses victimes porte plainte – après avoir subi des dégâts sur sa santé, constatés par un hôpital public – pour le stopper. Comment un tel imposteur a-t-il pu agir ? Sans doute grâce à un mélange de bagout et de confiance en soi : il a convaincu ses patients qu’il savait ce qu’il faisait, et lui-même croyait peut-être détenir des “trucs” meilleurs que la médecine moderne. On retrouve là le schéma Dunning-Kruger : ne pas savoir ce qu’on ne sait pas, et s’aventurer dangereusement dans l’exercice de la médecine. Ce fait divers a choqué l’opinion, et les autorités ont rappelé que « la vie des patients est en jeu quand on s’improvise docteur ». Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé : périodiquement, les journaux rapportent l’arrestation d’un faux dentiste par-ci, d’un guérisseur véreux par-là. La demande de soins et le coût de la santé sont tels que des personnes peu scrupuleuses s’y engouffrent, armées d’une surconfiance délétère.

Même en dehors de l’illégalité, la tentation de l’auto-diagnostic ou de l’auto-traitement est répandue en Tunisie, comme ailleurs. Qui n’a pas un proche convaincu qu’il “sait” quoi prendre sans consulter le médecin ? On entend souvent : « Pas besoin d’aller chez le docteur, je connais ce médicament, je vais l’acheter directement à la pharmacie ». Parfois cela part d’une connaissance partielle (ex: avoir déjà eu un symptôme similaire), mais bien souvent la personne sous-estime la complexité du diagnostic médical. Ce comportement a été particulièrement observé durant la pandémie de Covid-19 : certains, sûrs de leurs recherches sur Internet, refusaient le vaccin en avançant des arguments pseudo-scientifiques (par exemple en confondant corrélation et causalité, ou en brandissant des “études” mal comprises). D’autres juraient que des remèdes traditionnels suffiraient – « une infusion de thym chaque matin et pas de Covid ! » – et ne voyaient pas l’utilité des gestes barrières recommandés par les vrais spécialistes. Les médecins tunisiens, notamment les généralistes et urgentistes, ont rapporté avoir dû lutter contre ces fausses certitudes. Le chef de service d’un grand hôpital témoignait à la radio que des malades arrivaient avec des formes graves de Covid après s’être traités trop longtemps à la maison avec du paracétamol et des tisanes, persuadés de bien faire sur la base de conseils glanés sur Facebook. Ce n’est qu’à l’aggravation qu’ils réalisaient leur erreur d’évaluation – parfois trop tard.

Revenons à l’anecdote du député et de son “remède miracle” contre le Covid-19, car elle s’inscrit aussi dans le domaine de la santé publique. Lorsque des figures publiques relayent des traitements non éprouvés, cela brouille le message de santé publique. En 2020, alors que les autorités sanitaires tentaient de convaincre la population de l’importance du masque, de la distanciation et plus tard du vaccin, voir un élu vanter une potion “bio” secrète a pu semer la confusion. Même si la majorité l’a tourné en ridicule, une minorité a pu se dire “après tout, s’il le dit… pourquoi ne pas essayer ce produit ?”. Dans un contexte où la Tunisie manquait de doses de vaccins début 2021, ce genre de faux espoir pouvait détourner certains de l’inscription sur Evax (la plateforme vaccinale). L’effet Dunning-Kruger, ici, a mis potentiellement en danger la lutte contre l’épidémie, en offrant une caisse de résonance à l’ignorance confiante d’un non-spécialiste. Heureusement, face à cette situation, la communauté scientifique tunisienne et les médias ont réagi : des médecins ont expliqué publiquement qu’aucun médicament tunisien n’avait prouvé son efficacité contre le Covid, et ont réitéré les recommandations basées sur la science. On a même vu des fact-checkers (vérificateurs de faits) démonter les fausses rumeurs de remèdes circulant sur le net.

Au-delà du Covid, il y a un enjeu permanent de santé en Tunisie lié à l’auto-proclamation de compétences : par exemple, des personnes sans diplôme de nutritionniste qui se lancent dans le coaching diététique en ligne et prodiguent des conseils risqués, ou encore la vogue de certaines pratiques de bien-être non encadrées (ventouses, régimes “détox” extrêmes) prônées par des influenceurs persuadés d’avoir découvert la panacée. Ces tendances, tant qu’elles restent modérées, peuvent sembler inoffensives, mais il y a un risque quand la frontière est floue entre le bien-être et le médical. L’absence de réglementation stricte et la crédulité de certains clients, combinées à l’assurance de ces pseudo-thérapeutes, peuvent conduire à des drames individuels (complications de santé, perte de chance de guérison faute d’avoir consulté un vrai médecin…).

Face à cela, les autorités sanitaires et l’ordre des médecins ont fort à faire. Des campagnes de sensibilisation ont été menées pour rappeler de “ne pas croire tout ce qu’on lit sur Internet” et pour encourager les citoyens à demander un deuxième avis médical plutôt que de s’entêter seuls. Des cas de charlatanisme sont régulièrement poursuivis en justice – le cas de Sousse mentionné plus haut a ainsi été traité avec sévérité, pour l’exemple. La Tunisie a la chance d’avoir une communauté médicale de qualité et de plus en plus présente sur les réseaux (de jeunes médecins vulgarisateurs tiennent des pages Facebook ou des comptes Instagram pour répondre aux questions de santé courantes). Lutter contre l’effet Dunning-Kruger en santé, c’est encourager chacun à reconnaître les limites de ses connaissances médicales personnelles. Cela vaut aussi pour certains praticiens : un bon médecin est celui qui sait admettre « Je ne sais pas, je vous oriente vers un confrère spécialiste » plutôt que de s’entêter en terrain inconnu. Heureusement, cette humilité professionnelle est enseignée dans les facultés de médecine.

En définitive, le secteur de la santé montre crûment à quel point l’illusion de compétence peut être dangereuse. La santé n’est pas un domaine où on peut improviser sans risque. Chaque Tunisien gagnerait à retenir cette leçon : face à une question médicale, ce n’est pas la conviction personnelle qui guérit, c’est la connaissance réelle. Et si l’on n’a pas cette connaissance, faisons confiance à ceux qui l’ont acquise et prouvée.

Conclusion : vers une prise de conscience et l’action

Les exemples tunisiens ci-dessus – de l’élève persuadé de son niveau au politicien sûr de son fait, du pseudo-expert médiatique à l’entrepreneur trop confiant, en passant par le faux médecin – illustrent tous une même réalité : l’effet Dunning-Kruger est omniprésent et freine notre développement. Lorsqu’une société, à divers niveaux, remplace la compétence réelle par l’illusion de compétence, les conséquences s’accumulent : décisions publiques erronées, éducation qui n’améliore plus le niveau, entrepreneuriat improductif, désinformation dangereuse, etc. leaders.com.tn leaders.com.tn. C’est comme avancer avec un miroir déformant devant les yeux : on se croit grand et droit, alors qu’on est petit et bancal leaders.com.tn. Le premier pas pour aller mieux est de reconnaître la distortion.

Il ne s’agit pas de stigmatiser ou de se moquer. Après tout, nous sommes tous à un moment donné le “moins compétent” dans un domaine, susceptible de surestimer nos capacités. L’idée est plutôt de cultiver un réflexe de doute sain et d’apprentissage continu. En Tunisie, cela passe par plusieurs pistes concrètes déjà évoquées par les experts : améliorer l’éducation pour y intégrer l’esprit critique et l’évaluation honnête de soi, instaurer plus de méritocratie et de contrôle des compétences dans les nominations (afin que les postes clés soient occupés par les personnes qu’il faut, et pas par copinage ou orgueil) leaders.com.tn leaders.com.tn, et développer une culture de l’humilité intellectuelle dans toute la société leaders.com.tn. Cette humilité ne signifie pas être timoré ou manquer de confiance en soi – elle signifie être conscient qu’on a toujours à apprendre, et que se tromper n’est pas un crime. Au contraire, reconnaître ses lacunes est le début du progrès.

Concrètement, chacun peut contribuer à atténuer l’effet Dunning-Kruger à son échelle. En tant qu’élève ou étudiant : accepter le feedback, chercher à se tester vraiment plutôt que de se contenter de bonnes notes faciles. En tant que citoyen devant l’information : vérifier les sources, écouter les avis des spécialistes, et ne pas partager une info juste parce qu’on la trouve convaincante au premier abord. En tant que décideur ou manager : consulter des avis techniques indépendants, s’entourer de personnes compétentes (et les écouter, même si elles ne sont pas d’accord), se former en continu. En tant qu’entrepreneur : se faire mentorer, étudier son domaine en profondeur et admettre qu’une partie de son idée initiale peut être fausse. En tant que patient ou parent : demander conseil aux professionnels, et ne pas jouer avec sa santé sur la base d’astuces lues en ligne.

Le développement d’un pays comme la Tunisie ne repose pas seulement sur des ressources financières ou naturelles – il repose aussi sur le capital humain et ce qu’on pourrait appeler le capital cognitif. Ce capital, c’est notre capacité collective à voir la réalité en face, à reconnaître ce qu’on sait et ce qu’on ignore, pour pouvoir progresser leaders.com.tn leaders.com.tn. L’effet Dunning-Kruger est un obstacle silencieux car il fausse cette perception. Le surmonter, c’est un peu “réparer le miroir” leaders.com.tn : redonner à chacun un reflet plus juste de ses compétences. Cela peut être inconfortable – personne n’aime découvrir qu’il était moins bon qu’il le pensait – mais c’est salutaire.

En guise de réflexion finale, posons-nous la question, en tant que lecteurs et citoyens : ai-je déjà cru tout savoir sur un sujet, pour me rendre compte plus tard de mon erreur ? Sans doute que oui (et plusieurs fois). Ce n’est pas grave en soi, à condition d’en tirer des leçons. La vraie sagesse, disait Socrate, est de savoir que l’on ne sait pas tout. Cultiver ce regard modeste sur nos connaissances est peut-être l’un des meilleurs “vaccins” contre le Dunning-Kruger. Et si chacun y met du sien – enseignants, politiques, médias, entrepreneurs, professionnels de santé et grand public – la Tunisie ne pourra qu’y gagner : plus de compétence réelle, plus d’écoute de l’expertise, et in fine plus de développement. C’est un appel à l’action autant qu’à l’introspection : la prochaine fois que nous serons tentés de dire “Je sais, faites-moi confiance”, assurons-nous d’abord que nous avons fait le nécessaire pour vraiment savoir. Car reconnaître ses limites est le premier pas pour les dépasser.


Sources : Les exemples et analyses s’appuient sur des faits rapportés par la presse et des rapports récents. Citons notamment : le magazine Leaders pour la conceptualisation de l’effet Dunning-Kruger dans le contexte tunisien leaders.com.tn leaders.com.tn, les données PISA de l’OCDE qui placent la Tunisie en bas du classement mondial en 2015 ilboursa.com, le retrait du pays des évaluations internationales après 2016 fr.allafrica.com, l’incident du « remède miracle » présenté au Parlement par un élu populiste en 2020 courrierinternational.com, l’affaire du faux médecin de Sousse en 2024 webdo.tn, ou encore les réflexions d’experts sur l’entrepreneuriat local leaders.com.tn. Ces éléments, parmi d’autres, illustrent la réalité et l’actualité du biais de surconfiance en Tunisie. Gardons-les en mémoire pour mieux y remédier collectivement.



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