Le commerce électronique connaît une croissance spectaculaire à l’échelle mondiale, et la Tunisie n’échappe pas à cette dynamique. Le projet de loi n°42/2024, qui vise à réguler le commerce en ligne et les transactions sur les réseaux sociaux, marque une étape importante pour sécuriser un secteur encore en développement. Ce texte législatif intervient dans un contexte où la vente en ligne représente une part croissante du marché tunisien, avec plus de 1126 sites web marchands actifs en 2024.1 Alors que le gouvernement cherche à moderniser le cadre juridique, cette loi s’annonce comme une réponse aux défis liés à la sécurité des paiements, à la protection des consommateurs, et à la régulation des plateformes sociales.
La Tunisie fait face à des défis de taille dans le secteur du commerce électronique. Selon les derniers chiffres de la Banque Centrale de Tunisie, les paiements électroniques restent encore limités, bien qu’ils montrent une nette tendance à la hausse. En 2024, le pays comptait plus de 1100 sites marchands 1, mais la majorité d’entre eux se heurtent à des problèmes de régulation, de sécurité des transactions, et de manque de confiance des consommateurs. De nombreux commerçants témoignent de la complexité de se conformer à un cadre législatif obsolète, tel que celui qui était en vigueur avec la loi L2000-0083.2
L’ancienne loi, bien que fondamentale lors de son adoption, ne couvrait pas des domaines essentiels comme la protection des données personnelles ou la régulation des paiements électroniques transfrontaliers. Elle ne répondait pas non plus à l’essor des plateformes de réseaux sociaux, qui sont devenues des espaces incontournables pour les ventes en ligne.
Témoignage de Mohamed Z., commerçant en ligne : “Le marché tunisien a un énorme potentiel, mais nous manquons cruellement de régulations claires qui assurent la sécurité des transactions. La loi ancienne n’était pas adaptée aux besoins actuels, et la nouvelle loi pourrait vraiment nous apporter la confiance nécessaire pour développer nos activités.”
Le paysage économique tunisien a connu une transformation significative au cours des dernières années, marquée par une adoption rapide du commerce électronique. Les données de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) pour l’année 2024 illustrent cette croissance soutenue. Le nombre d’opérations de paiement électronique a enregistré une augmentation notable de 13,4 %, atteignant un total de 20,2 millions de transactions. En termes de valeur, cela représente une hausse de 4,8 %, s’élevant à 1241,2 millions de dinars. L’écosystème du commerce en ligne s’est également étoffé, avec 1126 sites marchands considérés comme actifs, ayant enregistré au moins une transaction au cours de l’année. En parallèle, l’essor du paiement mobile est également remarquable, avec 5,1 millions de transactions pour un montant de 1394 millions de dinars à la fin de l’année 2024. Ces chiffres, bien qu’indicatifs d’une progression, masquent la réalité complexe d’un secteur qui s’est développé largement en dehors des cadres juridiques existants.1
La croissance exponentielle de ce marché a rendu la législation en place obsolète. Un examen des indicateurs clés de l’écosystème du commerce électronique tunisien permet de mettre en lumière la nécessité d’une intervention législative pour combler le fossé entre la dynamique du marché et son encadrement légal.
Indicateurs Clés de l’Écosystème du Commerce Électronique Tunisien (2024) | Données |
Nombre d’opérations de paiement électronique | 20,2 millions 1 |
Valeur des transactions électroniques | 1241,2 millions de dinars 1 |
Nombre de sites marchands actifs | 1126 1 |
Transactions par paiement mobile | 5,1 millions (1394 millions de dinars) 1 |
Croissance du nombre d’opérations | +13,4% 1 |
Croissance de la valeur des transactions | +4,8% 1 |
Actuellement, le commerce électronique en Tunisie est principalement régi par la loi n°2000-83 du 9 août 2000, relative aux échanges et au commerce électroniques. Cette législation a été une base technique importante, définissant des concepts fondamentaux tels que la signature électronique et reconnaissant la validité juridique des documents électroniques. En matière de protection du consommateur, la loi de 2000 contient des dispositions essentielles, notamment le droit de remboursement intégral de la somme payée et des dépenses y afférentes, dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de restitution du produit.3 Elle interdit également au vendeur de délivrer un produit non commandé par le consommateur, assorti d’une demande de paiement.3
Cependant, la loi de 2000 est une fondation juridique qui n’a pas su s’adapter à l’évolution rapide des technologies et des modèles d’affaires. Conçue à une époque où le “social selling” n’existait pas sous sa forme actuelle, elle est incapable d’encadrer l’économie qui s’est développée de manière prédominante sur les réseaux sociaux. Son incapacité à réglementer ces plateformes, qui sont devenues le principal canal de vente pour de nombreux micro-entrepreneurs, est la principale lacune qu’entend combler le nouveau projet de loi.4 Le besoin d’une législation plus contemporaine et plus ciblée est devenu évident au fil des années, à mesure que de nouveaux acteurs et de nouvelles pratiques émergeaient en dehors du cadre formel établi.
La prolifération du commerce sur les réseaux sociaux a créé ce que le projet de loi qualifie de “pagaille commerciale”.4 Un grand nombre de commerçants opèrent en ligne sans aucune structure juridique, sans facturation ni garanties post-achat.5 Cette situation génère une concurrence déloyale pour les entreprises formelles, notamment les petites et moyennes entreprises (PME) et les commerces traditionnels qui se conforment à la réglementation et aux obligations fiscales.6 Ces entreprises formelles subissent un désavantage concurrentiel face à des vendeurs informels qui évitent les taxes et les coûts d’exploitation associés à une activité déclarée.
Pour les consommateurs, ce manque de régulation se traduit par une vulnérabilité accrue. Ils sont exposés à un risque élevé de fraudes en ligne et de pratiques commerciales trompeuses. Il est également plus fréquent qu’ils achètent des produits de mauvaise qualité, dangereux ou contrefaits, sans aucun recours efficace en cas de problème.6 L’absence de garanties de base, comme un service après-vente ou un droit de retour, est un problème récurrent. De plus, un phénomène largement répandu est le taux de refus de colis à la livraison, estimé à environ 30 % des commandes.7 Cette pratique, qui s’inscrit dans un contexte où le paiement à la livraison (Cash-on-Delivery) est dominant, fragilise la rentabilité des e-commerçants.
Le commerce informel n’est pas simplement un problème de manque de régulation, mais une manifestation d’une économie parallèle profondément enracinée. L’absence de traçabilité des transactions, souvent réalisées en espèces, a créé un environnement propice à l’évasion fiscale. En conséquence, l’État se trouve privé de recettes fiscales significatives. Le projet de loi, en cherchant à formaliser ce secteur, tente de s’attaquer à la fois aux “mauvais acteurs” et de réintégrer une part importante de l’activité économique dans le circuit formel, rétablissant ainsi une “équité fiscale”.6
Si le projet de loi s’attaque aux problèmes directs du commerce informel, il semble ignorer d’autres obstacles macro-économiques et systémiques qui entravent l’ensemble du secteur numérique en Tunisie. Un rapport d’expertise met en lumière les barrières majeures qui freinent le développement du commerce électronique transfrontalier.8 La non-convertibilité du dinar tunisien est l’une des contraintes les plus importantes, limitant la capacité des entreprises à payer des services externes essentiels, comme les régies publicitaires numériques de Google ou Facebook. Les plafonds imposés sur les cartes technologiques, qui sont de 1000 dinars pour les particuliers et de 10000 dinars pour les entreprises, constituent un obstacle majeur à une expansion internationale.8
De plus, l’accès aux portefeuilles électroniques internationaux, tels que PayPal, est souvent limité ou inexistant pour les entreprises tunisiennes. Ces plateformes, qui sont un moyen de paiement privilégié par de nombreux consommateurs nord-américains ou européens, restent inaccessibles en Tunisie en raison de l’absence de partenariats avec les banques locales.8 Les procédures d’exportation de petites quantités de produits sont également excessivement lourdes et coûteuses, nécessitant des déclarations douanières et des autorisations qui peuvent parfois dépasser la marge bénéficiaire des produits artisanaux.8 Enfin, la gestion des retours de marchandises est traitée comme une nouvelle importation, entraînant des frais de douane élevés qui peuvent décourager les e-commerçants.8
Le projet de loi n°42/2024 se concentre sur la formalisation du marché intérieur en créant un cadre de contrôle pour les acteurs locaux. Cependant, en ne proposant aucune solution concrète à ces barrières systémiques, il risque de créer un marché national plus structuré mais incapable de rivaliser à l’échelle internationale. La proposition de loi adresse les symptômes (fraude, concurrence déloyale) sans s’attaquer aux problèmes de fond qui empêchent l’économie numérique tunisienne de s’intégrer pleinement dans l’économie mondiale.
Le projet de loi n°42/2024, déposé en mai 2024 et soutenu par plus de 80 députés, a pour ambition de mettre fin à la “pagaille commerciale” qui règne sur les réseaux sociaux.6 Les principaux objectifs déclarés sont doubles : d’une part, assurer une “protection accrue pour les consommateurs”, et d’autre part, rétablir une “équité fiscale” entre les vendeurs formels et informels.6 La députée Olfa Marouani, co-auteure de la proposition, a précisé que le texte vise à structurer un secteur en pleine expansion et à intégrer cette activité dans l’économie formelle, ce qui est considéré comme une urgence pour l’économie tunisienne.6
Le projet de loi, qui se compose de 49 articles répartis en six chapitres, introduit plusieurs mesures clés qui pourraient transformer radicalement le paysage du commerce numérique en Tunisie.2
Une des dispositions centrales de la loi est l’obligation pour toute personne souhaitant exercer une activité de commerce en ligne de se conformer à un “cahier des charges officiel”.4 Ce cahier des charges, qui sera délivré par le ministère du Commerce, contient plusieurs conditions strictes : le vendeur doit être âgé d’au moins 18 ans, posséder les qualifications requises, ne pas avoir d’antécédents de fraude commerciale, et se limiter à un maximum de trois activités commerciales en ligne. La cession d’une page commerciale devra également faire l’objet d’une autorisation préalable. Le texte exige que les commerçants fournissent un extrait du Registre national des entreprises (RNE).4
Cette exigence de formalisation, bien que cruciale pour la lutte contre l’évasion fiscale, pourrait constituer une barrière significative pour les jeunes entrepreneurs. Une grande partie du commerce informel a prospéré précisément en raison de sa flexibilité et de sa capacité à contourner les lourdeurs administratives et les coûts d’entrée. En imposant un processus d’enregistrement et de conformité, la loi risque de décourager une partie de l’écosystème entrepreneurial naissant plutôt que de le régulariser. Le succès de cette mesure dépendra de la simplicité et de l’accessibilité de la nouvelle plateforme électronique d’enregistrement.
En matière de protection du consommateur, le projet de loi prévoit un droit de rétractation de trois jours, permettant l’échange ou le remboursement d’un produit sans justification.4 Il est crucial de noter que cette disposition représente une régression significative par rapport à la loi n°2000-83, qui accorde au consommateur un droit de remboursement dans un délai de dix jours ouvrables.3 La réduction de ce délai peut être perçue comme un arbitrage en faveur des commerçants, visant à limiter les retours de marchandises et à réduire les pertes logistiques, un problème majeur pour le secteur.7
Le projet de loi contient d’autres mesures de protection, comme l’interdiction de divulguer les informations sensibles des vendeurs et l’obligation pour ces derniers d’informer le ministère du Commerce en cas de violation de données personnelles.4 De plus, l’instauration d’un “label de confiance numérique” est envisagée pour certifier les vendeurs respectant la réglementation, dans le but de rassurer les consommateurs et de favoriser les acteurs formels.6
Pour assurer l’application de ces nouvelles règles, le projet de loi prévoit la création d’une “brigade d’enquête et de contrôle du commerce électronique”.4 Cette unité sera composée d’agents du ministère du Commerce, de contrôleurs économiques, de techniciens spécialisés, et de membres des ministères des Finances et des Technologies de la communication.10 Les pouvoirs de cette brigade seront étendus, incluant l’analyse du trafic sur les réseaux sociaux et la constatation des infractions. Les contrevenants s’exposent à des amendes allant de 1 000 à 5 000 dinars, et même à la fermeture temporaire ou définitive de leur activité en ligne en cas de récidive.6
L’accent mis sur la création d’une structure de contrôle étatique dotée de larges pouvoirs suggère une philosophie de régulation axée sur la surveillance et la répression. Une telle approche pourrait être rapprochée du modèle de régulation chinois, qui privilégie le contrôle et la sécurité, plutôt que des modèles occidentaux qui tendent à se fonder sur le renforcement des droits des citoyens et la promotion de la liberté d’entreprendre.11 Le succès de cette brigade dépendra de sa coordination avec les autres ministères concernés et de sa capacité à agir de manière ciblée sans entraver l’innovation.
Le projet de loi n’a pas manqué de susciter des réactions parmi les acteurs concernés. La Banque Centrale de Tunisie (BCT), lors d’une audition parlementaire, a soutenu la nécessité d’un cadre juridique pour réglementer le secteur en croissance. Elle a qualifié cette régulation de levier pour la croissance économique et la lutte contre l’évasion fiscale.12 La BCT a toutefois recommandé une approche “équilibrée” et a signalé un chevauchement potentiel entre les dispositions de cette proposition de loi et la législation existante.12 De plus, elle a souligné l’urgence de promouvoir les paiements électroniques pour réduire la prépondérance des transactions en espèces, qui représentent encore plus de 70 % des échanges financiers.
L’Organisation de Défense du Consommateur (ODC) a formulé des réserves sur la clarté de certains concepts et a insisté sur la nécessité de procédures simples et flexibles pour les commerçants.12 Les experts de l’ODC ont suggéré de simplifier l’enregistrement en exigeant seulement un extrait du Registre national des entreprises (RNE), en s’appuyant sur l’interconnexion entre les services de l’État pour accéder aux données essentielles.12 Cette proposition vise à réduire la charge administrative sur les entrepreneurs et à faciliter leur transition vers l’économie formelle.
À l’échelle mondiale, plusieurs pays ont su encadrer efficacement le commerce électronique. L’Union Européenne, par exemple, a mis en place des régulations robustes avec des législations comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui impose aux entreprises de respecter la vie privée des consommateurs. Ce modèle a permis de renforcer la confiance des consommateurs tout en stimulant l’innovation numérique. Les pays du Golfe, tels que les Émirats Arabes Unis et le Qatar, ont également mis en place des législations avancées pour réguler le commerce en ligne et protéger les consommateurs. En 2022, les Émirats ont instauré une loi sur le commerce électronique qui encadre les plateformes de vente, la protection des données et la régulation des publicités sur les réseaux sociaux.
Témoignage de Hessa Al-Sayeed, experte en droit du numérique : “La législation en place dans les pays du Golfe a permis de créer un environnement numérique sécurisé, favorisant la confiance des consommateurs et l’épanouissement des entreprises locales. La Tunisie pourrait en tirer parti en adoptant des règles similaires.”
Pour évaluer la pertinence du projet de loi n°42/2024, il est essentiel de le mettre en perspective avec les dispositions de la loi tunisienne existante, ainsi qu’avec les pratiques internationales.
Comparaison des Dispositions Clés | Loi n°2000-83 | Projet de Loi n°42/2024 |
Champ d’application | Commerce électronique via des supports techniques spécifiques | Commerce électronique sur le web et les réseaux sociaux 4 |
Droit de rétractation | Remboursement intégral dans un délai de 10 jours ouvrables 3 | Échange ou remboursement sans justification dans un délai de 3 jours 4 |
Autorité de contrôle | Pas d’unité dédiée au commerce en ligne | Création d’une brigade d’enquête et de contrôle du commerce électronique 4 |
Formalisation des vendeurs | Non spécifié pour le “social selling” | Obligation de se conformer à un cahier des charges et d’obtenir des autorisations 4 |
La comparaison met en évidence la principale régression du projet de loi : la réduction du droit de rétractation de dix à trois jours. Une telle décision pourrait affaiblir la confiance des consommateurs et semble aller à l’encontre de la tendance mondiale, comme le montrent les exemples français et québécois.
Le Québec est un exemple de juridiction qui a mis en place un cadre réglementaire strict et détaillé pour le commerce en ligne, axé sur la protection du consommateur.13 L’Office de la protection du consommateur impose aux commerçants en ligne des obligations précises avant, pendant et après la transaction. Avant l’achat, le professionnel est tenu de fournir des informations complètes et claires, incluant ses coordonnées, une description détaillée des produits, le coût total de la transaction (incluant les taxes et les frais de livraison) et les conditions d’échange et de remboursement.13
En outre, le consommateur a le droit de réviser et de corriger sa commande avant de la valider. Après l’achat, le commerçant doit envoyer une copie du contrat dans un délai de 15 jours. Le consommateur québécois bénéficie d’un droit d’annulation de son achat sans frais en cas de non-respect de ces obligations par le vendeur ou de livraison tardive.13 Le non-respect de ces obligations peut entraîner des amendes administratives ou pécuniaires très élevées, pouvant aller jusqu’à 175 000 $ pour les entreprises.13 Ce modèle met en lumière l’importance d’un cadre législatif qui non seulement encadre les pratiques commerciales, mais qui donne aussi des outils concrets aux consommateurs pour faire valoir leurs droits, un élément qui semble moins central dans le projet de loi tunisien.
La France, s’inscrivant dans le cadre réglementaire de l’Union Européenne, offre également un modèle de régulation qui privilégie la protection du consommateur.14 Le droit de rétractation est de quatorze jours calendaires, un standard qui offre une période de réflexion confortable au consommateur.14 Les professionnels doivent respecter des règles strictes en matière de conformité des produits, d’indication et de respect des délais de livraison, et de lutte contre les pratiques commerciales déloyales, qu’elles soient trompeuses ou agressives.14
Le modèle français démontre qu’une législation robuste en matière de protection du consommateur peut coexister avec un secteur du commerce électronique florissant. Il contraste fortement avec la proposition tunisienne de réduire le droit de rétractation à trois jours. L’adoption d’un tel standard élevé de protection par la Tunisie pourrait renforcer la confiance des consommateurs et la crédibilité de son marché numérique, favorisant ainsi sa croissance à long terme.
Malgré ces avancées, certaines limitations demeurent. Le projet de loi n°42/2024 ne résout pas entièrement les défis liés à l’adoption généralisée des paiements électroniques. En effet, la fracture numérique demeure un problème majeur, notamment dans les régions rurales où l’accès à Internet reste limité. En outre, l’application de la loi pourrait rencontrer des difficultés en raison de l’absence d’infrastructures adaptées pour surveiller et réguler efficacement l’ensemble des transactions en ligne.
Témoignage de Ahmed B., économiste : “Il est essentiel que le gouvernement mette en place des mesures d’accompagnement pour les commerçants et les consommateurs, notamment dans les zones moins développées. La loi seule ne suffira pas à garantir une adoption généralisée.”
Si le projet de loi s’attaque aux problèmes directs du commerce informel, il semble ignorer d’autres obstacles macro-économiques et systémiques qui entravent l’ensemble du secteur numérique en Tunisie. Un rapport d’expertise met en lumière les barrières majeures qui freinent le développement du commerce électronique transfrontalier.8 La non-convertibilité du dinar tunisien est l’une des contraintes les plus importantes, limitant la capacité des entreprises à payer des services externes essentiels, comme les régies publicitaires numériques de Google ou Facebook. Les plafonds imposés sur les cartes technologiques, qui sont de 1000 dinars pour les particuliers et de 10000 dinars pour les entreprises, constituent un obstacle majeur à une expansion internationale.8
Pour améliorer l’efficacité de la régulation et encourager l’adoption des paiements électroniques, il serait pertinent que la Tunisie investisse dans l’éducation numérique et la formation des commerçants et des consommateurs. Des incitations fiscales pour les entreprises qui investissent dans des solutions de paiement électronique sécurisé pourraient également stimuler le secteur.
Par ailleurs, le renforcement de la coopération avec les institutions internationales et les pays ayant déjà réussi leur transition numérique serait bénéfique. L’exemple de l’UE, avec son cadre harmonisé pour les paiements transfrontaliers, pourrait servir de modèle pour la Tunisie.
Face aux défis de sécurité et de traçabilité, la technologie Blockchain s’impose comme une solution d’avenir, en particulier pour un secteur en pleine mutation. Bien que le projet de loi n°42/2024 ne mentionne pas explicitement la blockchain, ses principes fondateurs – transparence, immuabilité et décentralisation – s’alignent parfaitement avec les objectifs de la nouvelle législation tunisienne.
L’intégration de la blockchain pourrait propulser la Tunisie vers une économie numérique plus sécurisée et innovante, en faisant un modèle pour la région.
L’adoption de la technologie blockchain pourrait considérablement renforcer l’écosystème du commerce électronique en Tunisie, en apportant des solutions adaptées aux défis actuels du secteur. Voici quelques cas d’usage spécifiques où la blockchain peut jouer un rôle clé dans l’amélioration des paiements électroniques en Tunisie :
Les transactions transfrontalières, notamment entre la Tunisie et ses partenaires internationaux, peuvent souffrir de frais élevés, de délais longs et d’une complexité administrative. La blockchain permettrait de simplifier ces paiements en éliminant les intermédiaires traditionnels comme les banques et les systèmes de paiement internationaux, réduisant ainsi les frais de transaction et les délais de règlement. Cela offrirait une solution plus rapide et plus abordable pour les commerçants tunisiens impliqués dans des échanges internationaux.
Avec l’augmentation des fraudes en ligne, la blockchain offrirait une sécurisation accrue des transactions. Grâce à son caractère immuable et décentralisé, les paiements effectués via la blockchain seraient à l’abri de toute altération ou manipulation. Pour les commerçants et les consommateurs tunisiens, cela réduirait les risques associés à la fraude en ligne, qui reste un problème majeur dans l’écosystème numérique.
La blockchain permettrait d’assurer une traçabilité totale des transactions, ce qui est particulièrement pertinent dans le contexte de la régulation renforcée du commerce électronique en Tunisie. Chaque transaction serait enregistrée sur un registre transparent, rendant ainsi plus facile pour les autorités de vérifier la conformité des commerçants avec les exigences légales et fiscales. Cette transparence pourrait également faciliter le contrôle de la TVA et des autres taxes appliquées au commerce électronique.
Une part significative de la population tunisienne reste sous-bancarisée, particulièrement dans les zones rurales. La blockchain pourrait jouer un rôle majeur dans l’inclusion financière en permettant à davantage de Tunisiens d’accéder à des services de paiement électronique sans avoir besoin d’un compte bancaire traditionnel. Par exemple, les paiements en cryptomonnaies, via des portefeuilles numériques basés sur la blockchain, pourraient permettre à de nombreux citoyens d’effectuer des achats en ligne ou de recevoir des paiements, sans nécessiter d’infrastructure bancaire classique.
La blockchain pourrait également être utilisée pour optimiser la gestion de la chaîne d’approvisionnement et la logistique, un domaine clé pour le commerce électronique. En intégrant la blockchain dans le suivi des livraisons de produits, chaque étape du parcours d’un produit, de l’entrepôt jusqu’au consommateur, serait enregistrée de manière transparente. Cela garantirait une meilleure gestion des stocks et une réduction des risques de fraudes ou d’erreurs dans les processus logistiques.
Les plateformes de commerce électronique tunisiennes pourraient tirer parti de la blockchain pour développer des systèmes de récompenses décentralisés et des programmes de fidélité. Ces programmes, basés sur des tokens ou des cryptomonnaies, seraient facilement intégrables dans les transactions, offrant ainsi une plus grande flexibilité pour les consommateurs et les commerçants tout en réduisant les coûts administratifs liés à la gestion des points de fidélité.
Ces cas d’usage illustrent le potentiel de la blockchain pour transformer le secteur des paiements électroniques en Tunisie. En apportant des solutions adaptées aux défis actuels du pays, elle pourrait améliorer la sécurité, la transparence, l’efficacité des transactions et contribuer à une meilleure inclusion financière, tout en permettant une croissance soutenue du commerce électronique.
Le projet de loi n°42/2024 marque un tournant pour le commerce électronique en Tunisie. S’il comporte des avancées indéniables en matière de régulation et de protection des consommateurs, sa mise en œuvre devra être accompagnée de solutions concrètes pour répondre aux défis de l’infrastructure et de l’adoption numérique. La Tunisie, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales, pourrait ainsi créer un environnement numérique sécurisé et dynamique, propice à la croissance du commerce électronique.
Cependant, l’analyse des dispositions, en particulier la réduction du droit de rétractation et l’approche axée sur le contrôle, soulève des préoccupations quant à sa capacité à soutenir l’innovation et à se conformer aux normes internationales de protection du consommateur. L’efficacité et l’impact à long terme de cette loi dépendront de sa révision pour une meilleure conciliation entre la formalisation et la flexibilité, et de la mise en œuvre de réformes complémentaires pour éliminer les barrières systémiques qui entravent encore le développement du commerce numérique en Tunisie.