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Tunis – Le 23 septembre 2025, le ministère des Affaires sociales a publié un arrêté ministériel imposant aux entreprises prestataires de services ou de travaux de constituer une garantie financière équivalente à 20 % de la valeur du contrat. Objectif : protéger les salaires et cotisations sociales des employés en cas de défaillance de l’employeur.
Ce texte, paru au Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT), concrétise l’article 30 quater du Code du travail, introduit en mai 2025 pour encadrer strictement la sous-traitance et mettre fin au « prêt illicite de main-d’œuvre ».
La garantie doit être constituée dans les trois jours suivant la signature du contrat et obtenue auprès d’une banque agréée. Elle s’élève à 20 % du montant total du contrat, et non de la masse salariale.
Exemple concret : pour un contrat de 100 000 TND de maintenance informatique, le prestataire doit bloquer 20 000 TND auprès de sa banque. Cette somme sert uniquement à couvrir les salaires dus aux employés affectés au contrat.
Si les salaires ne sont pas payés dans les 7 jours suivant leur échéance, l’entreprise cliente est légalement tenue de régler les employés, puis d’activer directement la garantie auprès de la banque – sans mise en demeure ni recours judiciaire.
À la fin du contrat, si aucun défaut de paiement n’est constaté, le prestataire récupère intégralement la garantie.
Le ministère justifie ce mécanisme par une exigence de justice sociale. L’arrêté vise à garantir la dignité des travailleurs et à responsabiliser les donneurs d’ordre.
En pratique, il introduit une logique de responsabilité solidaire : l’entreprise qui externalise une activité ne peut plus se désengager de la situation des salariés qui l’exécutent.
Cette orientation rapproche la Tunisie de certaines pratiques européennes où la sous-traitance est soumise à des obligations de caution ou d’assurance pour protéger les salariés (ex. Allemagne dans le BTP).
Si les syndicats et défenseurs des travailleurs saluent une avancée, les petites entreprises dénoncent une contrainte « disproportionnée ».
L’expert-comptable Slim Rekik estime que :
« Le taux de 20 % est insoutenable pour les TPME. La garantie aurait dû être calculée sur la base de la masse salariale liée au contrat, et non sur la totalité de sa valeur. »
En effet, une société de nettoyage qui remporte un contrat public de 50 000 TND devra mobiliser 10 000 TND de garantie, alors que ses salaires effectifs peuvent ne représenter que 15 à 20 % du contrat.
Pour une très petite entreprise, cette immobilisation peut bloquer la trésorerie, retarder l’accès au crédit et dissuader de candidater à certains marchés. Les grandes entreprises, disposant d’une meilleure capacité de financement, pourraient au contraire tirer profit de cette barrière à l’entrée.
Cette singularité pourrait devenir un atout si elle instaure un climat de confiance pour les salariés et investisseurs étrangers. Mais elle pourrait aussi pénaliser la compétitivité des petites structures locales.
Plusieurs pistes sont déjà évoquées par les acteurs économiques :
Pour l’heure, les autorités campent sur leur position : la protection des travailleurs est « non négociable ». Mais les effets sur l’écosystème entrepreneurial tunisien seront scrutés de près.
Avec cet arrêté, la Tunisie envoie un message clair : les droits des salariés passent avant la flexibilité des prestataires.
La réforme incarne une avancée sociale majeure, mais son application rigide pourrait fragiliser les petites entreprises et réorganiser en profondeur le marché de la sous-traitance.
La réussite du dispositif dépendra de sa capacité à conjuguer deux impératifs souvent contradictoires : sécurité sociale et dynamisme économique.