L’odeur du thé flottait dans l’air, envahissant la petite usine improvisée où Solareef prenait forme. Chaque matin, Nassim arrivait tôt, la tête pleine de calculs, les mains sales de rouille et de poudre d’arôme. Mais ce matin-là, quelque chose était différent. Ce n’était pas l’odeur familière de la menthe séchée ou du clou de girofle qui dominait, mais quelque chose d’inattendu. Un souffle d’espoir. Un bruit sourd, celui des portes d’une opportunité qui s’ouvraient.
Un appel avait été passé la veille. Un appel de Kadri, son partenaire, qui lui avait annoncé qu’un client potentiellement majeur allait visiter l’usine. Ce client n’était pas un petit commerçant local, mais un groupe international, une multinationale du secteur des boissons. En d’autres termes, une commande d’envergure.
Kadri avait laissé entendre que ce client pouvait transformer Solareef en une référence mondiale, si le produit répondait à leurs attentes. Nassim n’avait pas dormi la nuit précédente. Il repassait les mêmes pensées en boucle : Et si ça échouait ? Et si tout le travail ne suffisait pas ?
Le jour de la visite, l’usine ressemblait encore à une ébauche. Les machines étaient là, mais manquaient de finitions. Le processus n’était pas encore optimal. Les tests étaient encore en cours. Mais il n’y avait pas de temps à perdre. Si ce client était impressionné, Solareef aurait une chance de se faire une place parmi les géants.
Le responsable des achats du groupe, Monsieur Lamine, un homme d’apparence sobre et imposante, arriva accompagné de plusieurs collègues. Leur regard circulait dans l’atelier, notant chaque détail. Leur silence était lourd, pesant.
Kadri se tourna vers Nassim, un sourire en coin. Il savait que la pression était sur ses épaules, mais il n’en montrait rien.
— « Fais-nous bonne figure, Nassim. » lui chuchota-t-il avant d’accueillir les visiteurs.
Ils commencèrent la visite, et le regard de Lamine se fixa sur chaque machine, chaque geste. Ses yeux analysaient tout, chaque détail. Nassim pouvait presque voir les calculs se dérouler dans son esprit. Mais à un moment, quelque chose se produisit. Un petit incident. Une machine mal réglée, un léger bruit de métal qui se frottait contre du métal. Un faux mouvement. Un détail insignifiant.
Mais Lamine s’arrêta.
— « Ce bruit… » dit-il lentement, sans détourner le regard. « Vous êtes sûrs de pouvoir produire à grande échelle avec des machines comme celles-ci ? »
Le silence s’installa, lourd et oppressant.
Nassim sentit la chaleur monter en lui. La question n’était pas juste une interrogation technique. C’était une mise à l’épreuve. Lamine ne testait pas seulement le produit. Il testait Nassim.
Nassim respira profondément, se redressa.
— « Oui. Nous pouvons le faire. Il y a des imperfections, mais c’est le début. Je peux garantir que si nous avons les moyens, nous serons prêts. »
Le regard de Lamine resta impénétrable. Un silence. Puis il se tourna vers Kadri, qui hocha la tête.
— « Nous reviendrons vers vous, Monsieur Elbari. Nous avons apprécié ce que vous avez présenté. Mais nous devons tester la production à plus grande échelle. »
Les visiteurs partirent, laissant derrière eux un silence lourd de signification. Nassim regarda Kadri, qui avait l’air satisfait, mais tout de même prudent. Il attendait la réponse.
— « C’est bon signe, non ? » demanda Nassim, le cœur battant encore plus fort.
Kadri sourit, un sourire rusé.
— « C’est bon signe. Mais… attendons. C’est une grosse commande. Ils vont tester plusieurs producteurs. Si nous sommes retenus, ça changera tout. »
Les jours suivants furent un tourbillon de travail, d’incertitudes et de réajustements. Les machines furent perfectionnées. Chaque arôme était minutieusement contrôlé. Nassim veillait sur chaque étape. Il n’y avait pas de place pour l’erreur. Kadri le rappelait sans cesse :
— « Si nous échouons ici, il n’y a pas de seconde chance. »
Un lundi matin, après plusieurs jours d’attente, Nassim reçut un appel. Il reconnut immédiatement le numéro de Kadri. Lorsqu’il décrocha, une voix, d’abord hésitante, lui annonça la nouvelle.
— « Monsieur Elbari, nous avons le plaisir de vous informer que Solareef a été retenu pour la première commande du groupe. Ils vont démarrer la production avec nous. »
Nassim sentit son cœur s’arrêter. Il ferma les yeux, absorbant chaque mot. Cela signifiait que son rêve, enfin, devenait réalité.
Le soir même, Nassim monta sur le toit de la maison familiale. Il contempla la mer, les vagues qui frappaient les rochers dans une danse incessante. C’était une victoire, mais il savait que ce n’était que le début.
Le chemin était encore long.
Solareef avait une chance de bouleverser l’industrie. Mais à quel prix ?
La question de son indépendance, de son rêve personnel, restait toujours en suspens.
Pour l’instant, il se contenta de respirer profondément, d’apprécier ce moment de calme avant la tempête à venir.