Fiction – L’inventeur de l’impossible – Chapitre 8 – La tempête avant la paix

SAMI
June 24, 2025 5 mins to read
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Le matin se levait sur Djerba, mais Nassim n’avait toujours pas trouvé le sommeil. Il était assis dans l’ombre de l’atelier, le regard perdu dans la lumière vacillante des néons. Autour de lui, les machines tournaient en silence, telles des spectres de métal. Le vent faisait frissonner les rideaux sales de l’usine. L’air était lourd, saturé de poussière, de métal et de thé. Tout semblait figé.

L’inventeur de l’impossible

Les jours précédents avaient été un tourbillon. Après la réunion décisive avec le conseil d’administration, Nassim savait qu’il n’était plus un simple inventeur. Il était désormais un homme en guerre, prêt à tout pour préserver sa vision.

Kadri avait accepté de discuter, mais les échanges restaient tendus, marqués par les silences glacés de l’homme d’affaires. Nassim savait qu’il ne s’agissait que d’un compromis provisoire. Kadri voulait sa part du rêve, mais Nassim refusait de vendre son âme à l’argent.

L’usine tournait à plein régime, mais à quel prix ? La production s’intensifiait, tandis que le contrôle lui échappait peu à peu. Les premières commandes des grandes marques arrivaient, mais les produits se standardisaient. Les arômes étaient presque parfaits, mais quelque chose manquait. Nassim sentait que la qualité était en péril. La pureté de son rêve, ce qu’il avait voulu offrir au monde, s’effritait.

Il se leva brusquement, étouffé par le poids de ses décisions. Il se tenait à un carrefour : il avait l’argent, les ressources… mais plus la liberté. Et c’était là le véritable problème.

Les semaines suivantes furent un enchaînement de décisions stratégiques, de discussions avec les investisseurs, et d’ajustements de production. Kadri devenait de plus en plus insistant. L’ombre d’un contrôle total planait sur chaque décision. Nassim savait qu’il devait agir, avant qu’il ne soit trop tard. Il risquait de perdre son entreprise — et, plus encore, de perdre son rêve.

Un après-midi, Kadri se présenta à l’usine. Son visage était marqué par la fatigue et la frustration. Il s’approcha de Nassim, penché sur des échantillons d’arômes.

— « Nassim, il est temps d’arrêter de rêver, » dit-il, la voix plus dure qu’à l’accoutumée. « Tu vois bien que ce modèle ne fonctionne plus. Si tu veux que ça marche, tu dois accepter de faire des compromis. Il nous faut plus de machines, plus de main-d’œuvre, une plus grande échelle. »

Nassim déposa les échantillons avec lenteur, le regard planté dans celui de Kadri.

— « Je suis d’accord : il nous faut de la croissance. Mais pas à n’importe quel prix. Nous avons prouvé que Solareef peut exister sans sacrifier notre âme. Il faut juste de la patience. Ce n’est pas une course. »

Kadri croisa les bras, le regard durcissant.

— « La patience, c’est une chose, Nassim. Mais là, on parle de survie. Tu ne peux pas rivaliser avec les grandes entreprises. Tu n’as ni les fonds, ni les ressources pour maintenir cette illusion. »

La colère monta en Nassim, mais il la contint. Chaque mot pouvait être décisif.

— « Et si je te disais que j’ai trouvé un moyen de maintenir la qualité sans tout sacrifier ? » dit-il, les yeux brillants de détermination.
— « Je vais racheter ma part. »

Un silence tendu s’abattit. Kadri cligna des yeux, puis éclata de rire.

— « Racheter ta part ? Tu rêves, Nassim. Tu n’as pas l’argent pour ça. »

Nassim esquissa un sourire, une lueur de défi dans les yeux.

— « Pas encore. Mais je vais trouver un moyen. J’ai une promesse à tenir. »

Le lendemain, il explora toutes les options. Pour racheter ses parts, il lui fallait des financements. Mais les investisseurs actuels étaient hors de question : Kadri contrôlait l’accès aux fonds. Nassim se tourna alors vers d’autres voies — des partenariats locaux, des petits investisseurs, et une levée de fonds auprès de ceux qui croyaient vraiment en son rêve.

Pendant des jours, il rencontra des gens, partagea sa vision avec des investisseurs privés, des amis d’enfance, des entrepreneurs convaincus. Progressivement, il rassembla les fonds nécessaires. Chaque rencontre, chaque engagement le rapprochait de son objectif.

Mais le temps jouait contre lui. Kadri intensifiait la pression, exigeant des résultats, des chiffres, des preuves de progrès. Mais pour Nassim, l’essentiel n’était pas d’en produire plus. L’essentiel était de préserver l’âme de Solareef.

Il n’avait plus une minute à perdre. Le contrat signé avec Kadri lui laissait encore un peu de marge, mais la décision devait être prise rapidement.

Les semaines suivantes furent un combat permanent. L’usine tournait à plein régime, mais Nassim consacrait chaque instant à la recherche de fonds et à la négociation. Il devait tout reprendre. Solareef devait redevenir son œuvre, entièrement. Ce n’était pas un simple rachat : c’était une lutte pour l’âme de son entreprise.

Un mois plus tard, il réunit enfin la somme nécessaire pour racheter ses parts. Il n’avait pas tout, mais il avait l’essentiel. Le chemin restait semé d’embûches, et la bataille loin d’être terminée. Mais pour la première fois depuis longtemps, il se sentit libre.

Il avait tout donné. Et désormais, il était maître de son propre rêve.

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