Genz ©Created by JThemes.com
Les mois passaient, emportant avec eux les vestiges des hésitations et des doutes. Solareef avait franchi une étape importante : l’entreprise était désormais un acteur reconnu dans l’industrie, les commandes continuaient à affluer, et le thé de Nassim était toujours au cœur de l’innovation. Mais malgré tout, quelque chose n’allait pas.
Nassim se tenait une fois de plus devant les grandes portes de l’usine, le regard perdu sur la mer, cette étendue d’eau infinie qui semblait symboliser son propre voyage : large, mouvante, pleine de promesses mais aussi de dangers. Il avait tout donné, et pourtant, il se sentait toujours dans l’incertitude. La question qui lui revenait sans cesse était la suivante : À quel prix ?
Les dernières négociations avec les grandes marques n’avaient pas été faciles. Il avait dû céder sur certains points, accepter des compromis sur la qualité de production, mais à chaque fois, l’âme du produit, cet arôme unique, avait été préservée. Cependant, le poids des responsabilités et des décisions stratégiques commençait à l’épuiser. Il n’était plus simplement le créateur du thé, mais un chef d’entreprise pris dans un tourbillon de décisions financières et logistiques.
Ce matin-là, Amira entra dans son bureau, un dossier sous le bras, et une expression inquiète sur le visage. Elle n’avait pas besoin de parler longtemps pour que Nassim comprenne qu’il y avait un problème.
— « Nassim, je suis allée inspecter la production ce matin. Nous avons des anomalies dans le contrôle de qualité, notamment avec les lots envoyés aux grandes surfaces. »
— « Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Nassim, se levant immédiatement de son siège. Chaque problème de production était désormais une menace directe pour l’entreprise. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son avance.
— « C’est le même problème qu’auparavant. La machine, malgré les ajustements, ne parvient pas à maintenir la régularité du goût à grande échelle. Les arômes sont trop inconsistants. » Amira marquait une pause, son regard fuyant. « Je pense qu’il est temps d’investir dans une technologie plus avancée, mais cela coûterait cher. »
Nassim la regarda un moment, absorbant l’information. Le temps était son ennemi. Chaque jour qui passait augmentait la pression. Le rêve de créer un thé unique et pur s’éloignait lentement de lui, englouti par les besoins de l’industrie. Mais il savait qu’il ne pouvait pas faire marche arrière.
— « Combien cela coûterait-il pour résoudre le problème de façon définitive ? » demanda-t-il enfin, d’un ton résolu.
Amira posa le dossier sur la table et y pointa une série de chiffres.
— « Avec les équipements actuels, nous parlons d’un investissement de 200 000 dinars minimum. » Elle marqua une pause, attendant sa réaction. « Mais, Nassim… Cela signifie qu’il faudra reprendre toute la ligne de production et ralentir les commandes pendant un moment. Ce sera un grand pari. »
Nassim regarda les chiffres. Une part de lui était terrifiée à l’idée d’investir autant d’argent dans quelque chose d’aussi incertain. Mais une autre partie de lui savait que s’il ne faisait pas ce sacrifice maintenant, il perdrait définitivement son rêve. La question n’était plus simplement économique, mais existentielles.
— « D’accord. Fais-le. » dit-il d’un ton ferme, sans hésitation. Il se leva et se dirigea vers la fenêtre. « Je préfère prendre ce risque que de voir Solareef se diluer dans la masse des entreprises sans âme. »
Amira acquiesça, mais Nassim pouvait voir qu’elle avait elle aussi un poids sur les épaules. Elle savait que ce projet allait les forcer à se remettre en question une fois de plus.
Les semaines qui suivirent furent intenses. Nassim passait des journées entières à superviser les travaux, à tester les nouvelles machines, à ajuster les paramètres. Il ne dormait presque plus, se consacrant à la réinvention de ce qu’il avait construit. Chaque décision, chaque choix semblait avoir des conséquences irréversibles.
Un jour, alors qu’il venait de faire un dernier tour de l’usine, Kadri appela. Nassim n’avait pas eu de nouvelles de lui depuis leur dernière rencontre, et il n’était pas pressé de le revoir. Mais l’appel avait été urgent.
— « Nassim, je vois que tu as fait un choix difficile. » La voix de Kadri était calme, mais il y avait une pointe de défi dans ses paroles. « Mais ne crois-tu pas qu’investir encore plus dans cette petite entreprise va te mener à la ruine ? »
Nassim serra les poings, mais il resta calme.
— « Je ne crois pas à la ruine. Je crois à l’âme du projet. Et si tu crois que ce n’est pas suffisant, alors tu ne comprends pas Solareef. »
Kadri éclata de rire.
— « Très bien, Nassim. Mais n’oublie pas une chose. Le marché n’a pas d’âme. »
Le cœur de Nassim se serra à l’entendre. Il savait qu’il avait raison. Mais il n’était pas prêt à abandonner sa vision.
— « Le marché peut tout avoir, mais il ne pourra jamais acheter l’âme d’une entreprise, Kadri. Et c’est exactement ce que tu as raté. »
Il raccrocha, et, pour la première fois depuis longtemps, il se sentit libéré de l’ombre de Kadri. La confrontation était inévitable, mais il n’était plus cet homme qui avait besoin de prouver quelque chose. Il avait pris sa décision.
Quelques semaines plus tard, les tests de la nouvelle ligne de production furent concluants. Le thé retrouvait la qualité qu’il avait toujours eue, sans compromis. Le goût, cette rondeur unique, était là. Solareef avait retrouvé sa voix. Il n’était plus question de satisfaire des attentes extérieures. Solareef serait ce qu’il avait toujours voulu qu’il soit, avec ou sans les géants du secteur.
Le lendemain matin, Nassim se rendit au sommet du phare de Djerba, une dernière fois. Le vent soufflait encore, mais il n’avait plus l’impression de se perdre dans l’immensité de l’horizon. Il comprenait désormais que le vrai voyage ne résidait pas dans l’arrivée, mais dans l’engagement à chaque étape. Il avait choisi son chemin, et peu importait les obstacles.
Ce chapitre marque un moment clé dans l’histoire de Nassim. Il prend la décision de continuer à investir dans Solareef, non pas pour le profit, mais pour préserver l’âme de son rêve. Il affronte les difficultés, se libère de l’influence de Kadri, et retrouve son engagement envers l’authenticité de son produit.
